Les salles de banquets publics dans le monde grec
Karim MAHDJOUB
Sous la direction de S. Collin - Bouffier
La notion de salles de banquets et l’étymologie des termes les désignant
Les Hestiatoria, sont un type de bâtiments où se tenaient les banquets publics des cités grecques. De nombreux dérivatifs sont issus de ce mot et symbolisent une valeur proche de ces mêmes notions. Il a même inspiré de nombreux anthroponymes qui sont aussi des dérivés de ce mot ou bien des termes du vocabulaire religieux autour du culte d’Hestia. Leur importance au sein de la cité était de tout premier plan car les banquets étaient un des vecteurs visuels des liens concrets des populations entre elles. Ils intégraient aussi le sentiment de religiosité des populations et démontraient les rapports étroits qu’entretenait l’influence du divin dans la sphère publique. Certains autres termes existent pour définir la même notion, il nous faudra les trouver et les situer dans leur contexte.
Revenons sur le terme hestiatorion dérivé du mot hestia, qui, selon le dictionnaire étymologique de la langue grecque de Pierre Chantraine doit être mis en rapport avec la notion de foyer, ou de divinité (Hestia…) qui protège le foyer, il peut aussi symboliser l’autel.
Un dénominatif est intéressant pour la notion que nous voulons retenir de sa définition. C’est le dérivé hestiaô « recevoir à son foyer, inviter » (fête, banquet). En effet il nous rapproche de la notion de banquet qui est pour nous essentielle dans notre étude. Autre dérivé important pour notre étude : l’hestiatôr est l’hôte qui donne un banquet, une fête, ou la personne qui est chargée de cette liturgie. Partant de cela le dérivé hestiatorion (Délos) ou hestiatèrion dans des inscriptions plus tardives correspond à la salle de banquet avec des terminaisons différentes suivant le lieu géographique selon que l’on se situe en Attique, à Rhodes ou bien ailleurs. Un autre dérivé intéressant est le mot hestiatoria, qui correspond à la notion de fête, fortement attachée à la notion de banquet.
Ainsi le champ étymologique de ce terme est vaste et nécessite un rappel des notions qu’ils impliquent. Il faudra faire une étude des occurrences du terme hestiatorion dans les sources textuelles pour chercher à définir la spécificité de ces lieux.
Ces bâtiments marquaient donc les relations des citoyens entre eux et donnaient une visibilité claire des niveaux de hiérarchisation et de stratification sociale des populations. Les banquets publics sont un des actes sociopolitiques importants dans la vie d’une cité grecque.
Ils rassemblaient généralement le corps des citoyens selon des critères que les autorités définissaient en fonction de leur organisation politique et qui peuvent donc varier.
Les banquets avaient donc lieu dans des espaces matérialisés ou non.
Les contraintes architecturales et religieuses
Certains banquets avaient lieu dans des sanctuaires et d’autres dans des endroits publics qu’il nous faudra étudier. Les contraintes de place devaient en plusieurs circonstances rendre ces bâtiments trop étroits ou trop grands pour les banquets publics.
L’architecture de tels bâtiments est intéressante à étudier à plusieurs titres. La documentation archéologique et épigraphique de ces artefacts n’a cessé de s’enrichir au cours des années passées. Les nombreuses découvertes, les rapports de fouilles, les articles ainsi que les plans de ces bâtiments commencent à constituer un fonds d’information très important qu’il conviendrait de traiter.
Certaines contraintes religieuses pouvaient se superposer à cela en restreignant la consommation des sacrifices aux limites du sanctuaire comme le souligne la prescription de Pausanias (Paus. II 27, 1. dans le cas de l’Asclépios d’Epidaure et Paus. VII 28, 8. dans le cas des sacrifices en l’honneur d’Apollon Parrhasios-Pythios).
Les banquets publics étaient donc très importants et les bâtiments où avaient lieu ces banquets étaient un élément essentiel de la vie sociale au sein des cités grecques.
Les études précédentes
La dernière mise au point archéologique sur la question a été faite en 1978, il y a près de trente ans, par M. Goldstein dans sa thèse intitulée The setting of the Ritual Meal in Greek Sanctuaries : 600-300 B.C. mais l’auteur se limitait à la sphère religieuse.
Cette synthèse ne tient pas compte, non plus, des sites de l’occident grec puisque sa bibliographie ne comporte qu’une référence occidentale (Tyndaris, Parola del Passato, 1965, p177-178).C’est trop peu et bien insuffisant pour pouvoir établir un véritable synthèse sur la question.
L’étude a donc été inachevée et reste incomplète.
Une autre étude doit être citée, celle de P. Schmitt Pantel La Cité Au Banquet, Histoire des repas publics dans les cités grecques. Cette étude date de 1992 mais elle est essentiellement historique. Pour la partie archéologique, elle se contente de reprendre les résultats de l’étude de Goldstein en les résumant et sans remettre en question son analyse.
De plus, ces trente dernières années, de nouvelles découvertes sont venues enrichir nos connaissances. Sur le plan archéologique donc, le sujet n’a jamais connu de traitement digne de ce qu’on peut en espérer aujourd’hui à partir des sources disponibles. Il a été traité très partiellement et de façon lacunaire sur l’occident Grec. C’est un sujet neuf, qui mérite une vraie analyse, approfondie et cohérente.
Il est dès lors important de faire le point de la recherche en ce domaine et les nombreuses publications qui existent sur la question renforcent cette nécessité.
De la méthodologie
Du point de vue méthodologique, on mènera une étude parallèle et complémentaire des sources littéraires et de la documentation archéologique.
On constituera un corpus des différentes publications archéologiques et on cherchera les caractéristiques typologiques des bâtiments publics destinés aux banquets.
On s’intéressera également aux techniques de construction grecques pour ces bâtiments. Grâce à la documentation historique et archéologique disponible, des recoupements seront faits pour définir les fonctions des bâtiments ainsi que leur usage. Dans la mesure du possible, ces bâtiments pourront faire l’objet d’un classement suivant les résultats de nos recherches.
Le projet de recherche se propose de les étudier et de distinguer espace religieux et espace profane.
Il s’agira, à partir d’un inventaire élargi à l’ensemble du monde méditerranéen, de mener une analyse topographique et architecturale des bâtiments abritant les banquets publics.
Ainsi nous pourrons essayer de répondre aux interrogations suivantes :
- Est il possible de faire le point de la recherche sur les bâtiments publics destinés aux banquets ?
- Comment se présente une salle de banquet ? Quelles sont les éléments indispensables ? Y- a-t-on besoin de points d’eau, de lieux de cuisson ? Bref, des instruments et des espaces nécessaires à la consommation alimentaire ?
- Y a-t-il des tendances, des typologies, des différences entre les bâtiments. Peut-on les classer et ce, dans quelle mesure cette classification pourrait-elle être pertinente ?
- Certains bâtiments n’ont pas été identifiés comme salles de banquet, mais certains traits typologiques peuvent les faire identifier comme tels ; il faudra le montrer.
- Que nous apprennent ces bâtiments sur les règles de convivialité et de sociabilité dans les cités grecques ?